Le tombeau de "Gladiator" mis à l'abri
Philippe Ridet
LE MONDE CULTURE ET IDEES, 24 dicembre.2012
Philippe Ridet
LE MONDE CULTURE ET IDEES, 24 dicembre.2012
Il s'en est fallu d'un rien que la poussière ne retourne à la poussière. Mais la tombe de Marcus Nonius Macrinus, général romain de l'époque de l'empereur Marc Aurèle (IIe siècle), découverte en 2008 près de la via Flaminia, à Rome, sera sauvée, au moins pour cet hiver. Le soutien de l'acteur néozélandais Russell Crowe à la pétition "Save the Gladiator's Tomb" ("sauvons la tombe de Gladiator"), lancée par l'Institut américain d'archéologie pour la culture romaine, a été déterminant. Cet institut est une fondation privée de philanthropes qui se propose d'aider l'Italie à entretenir son gigantesque patrimoine et à le faire connaître outre-Atlantique.
Saluée par une rafale de communiqués victorieux de la part des autorités romaines, la découverte de 15 000 mètres carrés de ce mausolée avait rameuté sur place les télévisions du monde entier. L'histoire a de quoi séduire. Ici reposent les restes du modèle ayant inspiré de façon lointaine le cinéaste britannique Ridley Scott et ses scénaristes pour concevoir le personnage principal du film Gladiator, qui vaudra à son interprète, Russell Crowe, l'Oscar du meilleur acteur en 2000. Un peu comme si le réel venait certifier la fiction.
Mais, quatre ans plus tard, ces vestiges sont devenus encombrants. Pour continuer les excavations et valoriser le site (situé pour son malheur dans un quartier excentré de Rome), il faudrait 3 millions d'euros au bas mot. Cet argent, ni la ville, qui a dû faire appel au sponsor Diego Della Valle pour restaurer le Colisée, ni l'Etat, engagé dans une politique d'austérité sans précédent, ne l'ont. Bref, Marcus est réapparu au mauvais moment...
"Je lance un appel..."
La décision a donc été prise de remettre "Gladiator" dans sa tombe, autrement dit de réenfouir le chantier pour le protéger en attendant des jours meilleurs. "C'est une question de sécurité", a plaidé Mariarosaria Barbera, surintendante des biens culturels pour la ville de Rome. Le froid de l'hiver et les pluies sont en effet terribles pour les marbres, qui ont déjà passé quatre années à l'air libre après avoir été très bien conservés pendant dix-huit siècles, au chaud, dans les boues du Tibre tout proche...
De l'avis même de Mme Barbera, c'est "un choix douloureux. [Elle] reste persuadée que si la découverte de ce moment funéraire s'était produite à Paris ou à Berlin, elle aurait eu une autre destinée". Elle rêve encore d'un grand musée de plein air que l'on visiterait "à bicyclette ou en train"...
L'écho de cette décision dans la presse anglo-saxonne, qui considère ce tombeau comme une partie de son patrimoine, et un coup de fil de La Repubblica à Russel Crowe ont changé la donne : "Je lance un appel, a dit l'acteur, aux membres de l'administration de la ville de Rome qui devraient encourager les citoyens italiens à être fiers des succès de la glorieuse histoire de leur pays." Et l'acteur d'adhérer à la pétition de l'institut américain. Miracle de la médiatisation ? La tombe de "Gladiator", de Marcus Nonius Macrinus ou de Russel Crowe (on ne sait plus très bien) restera à la lumière, mais ses vestiges les plus fragiles seront empaquetés comme un cadeau de Noël dans une toile isolante et imperméable. "Je suis de tout coeur avec vous, et bonne chance", a tweeté la star à ses nouveaux amis de l'institut.
Reste que la tombe de "Gladiator" semble vouée à s'ajouter à la longue liste des vestiges oubliés d'Italie ou fermés au public faute d'argent pour les entretenir. A ce propos, la résidence romaine de Néron, fermée depuis 2006 à la suite d'éboulements, est de nouveau visible. Enfin presque. Son autorité de tutelle a décidé de lui consacrer le blog "Il cantiere della Domus Aurea" ("le chantier de la Domus Aurea"). Restaurateurs, scientifiques, historiens se proposent de poster au quotidien des billets sur l'avancée de leurs travaux. De quoi prendre patience.
Philippe Ridet, Rome, correspondant